Mgr de Ségur répond aux arguments contre la Religion (49)

Mgr De SégurObjection : On se moquerait de moi ! Il ne faut pas se singulariser, il faut faire comme les autres.

Réponse : Raisonnement de chèvre, mon pauvre ami ! Les chèvres, je le sais, se suivent les unes les autres: si la première se jette dans un trou, la seconde la suit, la troisième suit la seconde, la quatrième suit la troisième, ainsi de suite; elles s’y jettent parce que leurs compagnes s’y sont jetées ; elles font comme les autres.

 

Mais les hommes doivent-ils agir d’une manière aussi stupide ?

Hélas ! combien sont chèvres en ce point ! combien vont en enfer parce que les autres y vont !

« Il ne faut pas se singulariser, » dit-on. Si fait, il faut se singulariser, non point par orgueil et parce qu’on dédaigne les autres, mais parce qu’il faut être bon au milieu du monde qui est mauvais.

Le mal abonde, et le bien est rare; il y a beaucoup de méchants et peu de bons, beaucoup de païens et peu de chrétiens. Les mauvais forment la masse ; ce sont eux qui font la mode, la coutume. Celui qui veut suivre l’autre voie, qui est la bonne, est donc forcé de se singulariser.

Eh bien! cette singularité, il faut l’avoir. Elle est le signe, la condition nécessaire de votre salut éternel.

Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a déclaré en termes formels: « Entrez, dit-il (1), par ta porte étroite, parce que la porte qui conduit à la mort est large et la voie qui y mène est spacieuse, et il y en a un grand nombre qui y entrent. Combien est étroite la voie qui mène à la vie éternelle, et comme il y en a peu qui la suivent ! »

« Ne craignez pas, ajoute-t-il en un autre endroit de l’Évangile, ne craignez pas ceux qui ne peuvent tuer que le corps, et qui, après cela, ne peuvent plus rien sur vous. Je vais vous dire qui vous devez craindre : Craignez celui qui peut tuer le corps et perdre l’âme dans l’enfer. Ah !je vous le dis, craignez celui-là (2) ! — Celui qui rougira de moi et de ma religion devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père et devant tout l’univers au jugement dernier. Et celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, » malgré tous les obstacles, malgré surtout les railleries, les exemples et les efforts des libertins, « celui-là SEULEMENT SERA SAUVÉ. » (Saint Matth. XXIV, 13.)

L’avertissement est-il clair? C’est le Juge éternel qui nous le déclare. C’est celui qui ne parle pas en vain, et qui proclame de sa propre bouche que « le ciel et la terre passeront, » mais que « ses paroles ne passeront pas. »

Il faut donc, sous peine de damnation éternelle, être dans le monde différent du monde.

Il faut se faire gloire de cette singularité, loin de la craindre et d’en rougir. C’est elle qui nous fait chrétiens.

« Mais on se moquera de moi ?» — Eh bien ! laissez se moquer de vous; vous n’en mourrez pas ! Moquez-vous de ceux qui se moquent de vous ; ils sont les ridicules, et vous vous êtes le sage. Lequel doit se moquer de l’autre : le fou du sage, ou le sage du fou ?

Si on se moquait de vous parce que vous mangez, ou parce que vous marchez sur vos pieds et non sur votre tête, cesseriez- vous pour cela de manger, et vous mettriez- vous à marcher sur vos mains? Non.

Et pourquoi ? Parce que ce que vous faites est bien est raisonnable, et que ce qu’on voudrait vous voir faire est absurde.

Combien plus est-il absurde de perdre votre âme pour plaire à quelques étourdis dont vous méprisez le libertinage au fond de votre cœur ! La louange de pareilles gens, voilà la vraie honte : leur blâme est un bien. C’est signe qu’on ne leur ressemble pas.

Mais ne vous exagérez pas les choses. Vous ne serez pas le seul de votre parti. Quoiqu’il y ait plus de méchants que de bons, le nombre de ceux-ci est cependant plus grand qu’on ne le pense ; surtout de nos jours, où la Religion reprend de plus en plus son bienfaisant empire. — Dans les classes éclairées de la société, c’est maintenant une recommandation honorable que d’être chrétien.

Il y a quelques années, le jeune C***, un des élèves les plus distingués de l’École polytechnique, perdit son chapelet. Un camarade le trouva, et à l’heure de la récréation, il appela toute l’École, attacha le chapelet à un des arbres de la cour, et d’un air de défi : « Que celui à qui appartient ce chapelet vienne le réclamer, » s’écria-t-il. « C’est moi qui l’ai perdu, dit tranquillement le jeune C***, en s’avançant au milieu des élèves ; ce chapelet est un souvenir de ma mère ; j’y tiens beaucoup et le récite tous les jours. » — « Bravo !» s’écrie une grosse voix. Tous se retournent : c’était le général commandant l’École. « Bravo, mon ami, dit-il en serrant la main du jeune chrétien; vous êtes un homme de cœur et d’énergie. Continuez ainsi, vous ferez votre chemin ! » — C*** sortit le premier de l’École ; et pendant tout le temps qu’il y demeura, il fut le plus estimé, le plus aimé de tous.

Soyez bon, aimable, obligeant envers tout le monde ; riez avec les autres de ce dont on peut rire sans offenser Dieu; et ils vous laisseront bien vite tranquille au sujet de la Religion , si tant est seulement qu’ils vous attaquent.

Je connais un Alsacien, fort bon chrétien, qui, à son arrivée au régiment, fut raillé par plusieurs de ses camarades. On l’appelait cagot, bigot, cafard, et le reste. Un jour que la bataille s’engageait plus vivement que de coutume, il demanda permission à son capitaine de réunir sa compagnie dans la chambrée. Il monta sur un banc et leur adressa ce petit discours : « Tous avez beau faire, vous ne me ferez point changer. Le bon Dieu vaut mieux que vous, n’est-ce pas? Eh bien! j’aime mieux lui plaire qu’à vous. Allez vous coucher si vous n’êtes pas contents ! Tout le régiment serait là, que je ne reculerais pas d’un pouce ! » Ses camarades se mirent à rire et à applaudir, et depuis ce temps on ne dit plus un mot désobligeant à ce digne garçon.

Un autre jour, un voyageur arrive à une table d’hôte, c’était un samedi ; il demande du maigre. Quelques convives ricanent. Un d’eux plus hardi lui adresse la parole: « Monsieur fait maigre? dit-il d’un air moqueur. » — « Oui, Monsieur, répond le voyageur sur le même ton : et Monsieur fait gras ?» — « Oui, Monsieur, dit l’autre un peu attrapé de voir qu’on se moquait de lui. » — « Tant pis pour Monsieur, répond l’autre. Monsieur pense-t-il donc qu’un homme d’honneur doive préférer une côtelette à sa conscience ? Moi, j’aime mieux ma conscience qu’une côtelette. » — Les rieurs se mirent de son côté. Et mieux que cela, un convive, se tournant vers lui, le félicita de sa fermeté à remplir son devoir; « Je ne veux pas, Monsieur, ajouta-t-il, que vous soyez le seul ici; je profiterai de votre aimable leçon ; car moi aussi je suis catholique. — Garçon, apportez-moi du maigre. »

Ne faiblissez pas devant une parole, devant un regard, devant un sourire…

Laissez se perdre les autres qui veulent se perdre ; vous, qui savez ce qui en est, sauvez votre âme.

Laissez rire qui voudra rire. Rira bien qui rira le dernier.

(1) Saint Matthieu, en chap. vii.

(2) Saint Matthieu, en chap. x, xxviii.

Source : Réponses courtes et familières aux objections les plus répandues contre la religion – Mgr de Ségur –  ESR.