12 NOVEMBRE SAINT RENÉ ÉVÊQUE (396-450)
On ne peut nier que les documents qui nous ont conservé l’histoire de saint René ne prêtent à discussion ; les Bollandistes même ne dissimulent pas qu’ils leur accordent peu de confiance. Mais le savant bénédictin dom Chamard s’inscrit contre leur jugement, qu’il estime sévère : il croit que de la légende on peut tirer des éléments de vérité. Et comme le saint évêque, très vénéré en Italie et en Anjou, compte de nombreux protégés qui s’honorent de porter son nom, il semble bon de leur rappeler ses vertus, aussi bien que légitime d’accepter le sentiment d’un des maîtres de l’hagiographie.
Donc, au temps où saint Maurille gouvernait l’église d’Angers, c’est-à-dire à la fin du IVè siècle, vivait au château de la Possonnière une noble matrone nommée Bononia. Dieu ne lui avait pas donné d’enfant, et elle s’en affligeait fort. Un jour que l’évêque, alors tout récemment élu, visitant son diocèse, était venu au bourg groupé au pied du château, Bononia s’agenouilla devant lui et le supplia de la bénir et de lui obtenir un fils ; elle promettait en retour de le consacrer au service divin. Maurille fut ému de ces larmes; il pria sur l’affligée avec toute son âme. Et l’année suivante, heureuse et fière, portant en ses bras l’enfant accordé à la prière de l’évêque, elle se rendait à Angers pour accomplir sa promesse : car c’était la discipline ecclésiastique du temps : voué à l’Église, il devait être élevé sous les yeux et par les soins des prêtres.
Il grandit ; il avait sept ans déjà et n’était point encore baptisé : à cette époque les familles puissantes, même très chrétiennes, retardaient volontiers pour leurs fils la réception du sacrement de la régénération. Ainsi en avait-il été pour saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Ambroise ; et ne fut-ce pas la cause de la précoce perversité d’Augustin? Et il arriva que le fils de Bononia tomba malade ; bientôt on vit qu’il allait mourir. Affolée du danger qui menaçait son âme plus encore que sa vie, la pauvre mère saisit l’enfant, l’emporte en courant à l’église Saint-Pierre : Maurille, entouré de tous ses prêtres, y accomplissait ses fonctions épiscopales. Elle fend la foule, s’approche de l’autel, présente le petit moribond à l’évêque et avec des sanglots le. conjure de le baptiser aussitôt. Mais Maurille, tout aux saints mystères qu’il célébrait, veut qu’elle attende la fin de la cérémonie ; on la force à se retirer. Hélas ! quand on l’invita à se présenter de nouveau pour le baptême de l’enfant, celui-ci était mort. Maurille fut navré de ce malheur, qu’il imputait à ses démérites. Il n’avait accepté que malgré lui l’épiscopat dont il se jugeait indigne ; il crut que Dieu n’avait permis cette mort douloureuse que pour ratifier son propre jugement. Aussitôt sa résolution est prise, si conforme du reste à toutes ses aspirations : il se dérobe, s’enfuit, va se cacher loin de son diocèse,
en Armorique, dans une solitude où il expiera sa faute par la pénitence de toute sa vie. Quand on s’aperçut de sa disparition, l’émoi fut grand dans l’église d’Angers. Outre le chagrin d’avoir perdu un pasteur d’une éminente sainteté, la crainte aussi serrait les cœurs. L’évêque, ce n’était pas seulement le dispensateur des grâces, c’était aussi le protecteur et, selon un titre officiel qui lui était souvent conféré, le défenseur de la cité en face du pouvoir civil et des Barbares envahisseurs de la Gaule.
Aussi des envoyés partent bientôt qui rechercheront le fugitif, fallût-il traverser les mers, et ne reviendront qu’avec lui, dussent-ils l’entraîner de force hors de son asile.
Maurille fut trouvé et ramené ; pour adoucir cette contrainte, Dieu lui avait révélé la grande consolation qu’il lui réservait. A peine de retour dans sa ville épiscopale, il se rend à l’église Saint-Pierre, ou l’enfant avait été enterré. Il fait ouvrir la tombe, se prosterne tout en larmes, prie quelques instants ; et voici que le petit corps s’agite, revient à la vie, sort de sa couche de pierre, parmi les acclamations et les cris de joie. Maurille, sans tarder, mène le ressuscité au baptistère : il verse sur lui l’eau qui le fait néophyte et, en souvenir de la grande miséricorde de Dieu qui lui accorde une seconde naissance, lui donne le nom de René.
(Résurrection de Saint René par Saint Maurille en présence de sa mère Bononia)
Admis à l’école épiscopale. René s’y montra reconnaissant du bienfait de sa résurrection. Il se signala par une sagesse et une vertu supérieures à celles de ses jeunes compagnons. Dès qu’il fut arrivé à l’âge fixé par les canons, Maurille, charmé de ses mérites, lui conféra la charge d’archidiacre, et peu après le sacra comme chorévêque, — c’est-à-dire évêque auxiliaire, — de Chalonnes-sur-Loire, église qui lui était particulièrement chère et à laquelle l’administration de saint René contribua à donner une importance considérable. Et puis, Maurille appelé par Dieu à la gloire du ciel, les suffrages se réunirent sur son disciple pour en faire son successeur. Comme lui jadis, René n’accepta qu’à regret le fardeau de l’épiscopat qui tombait sur ses épaules, lorsqu’il avait à peine atteint l’âge canonique de trente ans. Aussi, résolu à le déposer le plus vite possible, il attendit seulement que la sécurité fût assurée à son troupeau par l’établissement légal et définitif des Barbares dans tout l’ouest de la Gaule. Alors, pour couvrir sa fuite, il prétexta un pèlerinage à Rome, au siège de saint Pierre, et partit sans volonté de retour. Il visita les églises des saints Apôtres, s’agenouilla sur leurs tombes ; et puis, s’enfonçant vers le midi, il descendit jusqu’à Sorrente, où il se cacha dans une solitude. Bientôt ses vertus lui attirèrent la vénération universelle et, — selon les Sorrentais, — il fut élu évêque de leur cité.
Quoi qu’il en soit de ce dernier fait, René mourut encore jeune, le 6 octobre 450, et fut enterré près de la ville, dans la cellule qu’il avait habitée; il y fut honoré d’un culte public et reconnu comme patron principal de Sorrente. Aujourd’hui encore il est un des Saints les plus vénérés du pays de Naples. Cependant les habitants d’Angers étaient dans la désolation et cherchaient de tous les côtés les traces de leur évêque fugitif. Il avait trop bien pris ses précautions : ils durent renoncer à découvrir sa retraite, et un concile réuni à cet effet décida de lui donner un successeur, qui fut le vénérable Thalaise. Le temps s’écoula ; et voici que les Angevins apprirent la mort de René à Sorrente et le culte qu’on lui rendait. Ils décidèrent alors de rentrer en possession de son saint corps, qu’ils considéraient comme leur incontestable propriété. Une décision du Saint-Siège leur en rendit du moins une grande partie-. Ces bienheureuses reliques furent d’abord déposées dans l’église de Saint-Maurille, le maître aimé de René. Au IXè siècle, on les transféra à la cathédrale, le 12 novembre, jour où désormais on fixa la fête de saint René, patron secondaire du diocèse d’Angers.
Source : Saints et saintes de Dieu, Tome II, Père Moreau, p.604-607