Saint Jérôme – traité au préfet Dardanus sur les juifs – 6ème partie –

Saint JérômeTRAITÉ SUR LES JUIFS.

A DARDANUS, PRÉFET.

(suite)

Le plus éloquent de tous les poètes dit aussi que ces peuples n’ont aucune demeure certaine, et il les appelle « Barcéens» du nom de « Barca, » qui est un bourg situé dans le désert; les Africains les nomment aujourd’hui par corruption «Bariciens.» On leur donne encore divers autres noms selon les différents pays qu’ils habitent; ils s’étendent depuis la Mauritanie jusqu’aux Indes, par l’Afrique, l’Egypte, la Palestine, la Phénicie, la Célé-Syrie, l’Osroëne, la Mésopotamie et la Perse. Voilà donc, ô Juifs ! l’étendue du pays que vous vous vantez de posséder, et dont vous tirez vanité parmi les nations qui ne vous connaissent pas. Cela est bon pour les ignorants; quant à moi, je vous connais à fond.

Vous me direz peut-être que, par la terre de promission, on doit entendre celle dont Moïse fait la description dans le livre des Nombres, et qui est bornée au midi par la mer Salée, par les villes de Senna et de Cadesbarné, et par le torrent d’Égypte qui va se décharger dans la grande mer proche du Rhinocorure; à l’occident par cette grande mer qui baigne les côtes de Palestine, de Phénicie, de Célé-Syrie et de Cilicie; au nord par ce cercle que forment les monts Taurus et Zéphyrius, et qui s’étend jusqu’à Emath, qu’on appelle Epiphanie de Syrie; à l’orient par la ville d’Antioche et par le lac de Cenereth qu’on nomme aujourd’hui Tibériade, et par le Jourdain qui se décharge dans la mer Salée, que nous appelons à présent la mer Morte. Au-delà du Jourdain ce sont les deux tribus de Ruben et de Gad, et la demi-tribu de Manassé. Il est vrai que Dieu vous l’a promise cette terre, mais il ne vous l’a jamais livrée ; et si vous aviez observé la loi du Seigneur et marché dans la voie de ses commandements; si, au lieu d’adorer le Dieu tout-puissant, vous n’aviez pas rendu un culte sacrilège à Belphégor, à Baal, à Belzebub et à Chamos, vous seriez entrés en possession de cette terre heureuse qui vous avait été promise ; mais vous avez tout perdu, parce que vous avez préféré ces idoles au vrai Dieu. On me promet dans l’Évangile la possession du royaume du ciel, dont il n’est fait aucune mention dans l’Ancien Testament; mais si je n’observe pas les commandements du Seigneur, je serai privé de ce royaume, non point par le fait de celui qui me l’a promis, mais par mon fait personnel; car là où il y a liberté de choisir, c’est inutilement que nous souhaitons ce qui a été promis, si nous refusons de travailler.

Lisez le livre de Josué et des Juges, et vous verrez combien étroites sont les bornes du pays que vous possédez. Je ne parle point ici des contrées et des villes d’où vous n’avez pu chasser les étrangers, puisqu’il n’a pas même été en votre pouvoir d’exterminer les Jubéséens de votre capitale, et qu’au scandale de vos voisins ils ont partagé avec vous cette grande ville qu’on a appelée successivement Jebus, Jalem et Jérusalem, et qu’on nomme aujourd’hui Elia. Vous en étiez si peu maîtres, que votre temple a été bâti dans l’aire d’Oman-Jebuséen, et par les mains mêmes des païens et des étrangers. Salomon employa à ce grand ouvrage soixante et dix mille tailleurs de pierre, et quatre-vingt mille manœuvres qui portaient les fardeaux, ce qui faisait en tout cent cinquante mille hommes, sans compter les inspecteurs des travaux : tant était prodigieux le nombre d’incirconcis qui demeuraient avec vous dans cette grande ville.

Je ne prétends point par là insulter à la Judée, comme un hérétique imposteur m’en accuse faussement, ni détruire la vérité de l’histoire, qui est le fondement spirituel que nous tirons des saintes Écritures; mais je veux confondre l’orgueil des Juifs qui préfèrent la pensée étroite de la synagogue à la large pensée évangélique.

S’ils ne veulent s’attacher qu’à la lettre qui tue, et non point à l’esprit qui vivifie, qu’ils nous montrent dans la terre de promission des ruisseaux de miel et de lait; mais s’ils croient au contraire que cette expression signifie une abondance générale, nous aussi alors nous préférons à une terre de ronces et d’épines, la terre des vivants, la terre de promission, d’après les paroles du Seigneur à Moïse en parlant de la réprobation d’Israël et de la vocation des Gentils « Laissez-moi faire, que j’extermine ce peuple, et je vous ferai le chef d’une nation nombreuse; » et d’après le Père Éternel à son Fils: « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et vos possessions s’étendront jusqu’aux extrémités de la terre. » Et cela se voit plus clairement dans le prophète Isaïe : « Il ne suffit pas que vous me serviez à relever les tribus de Jacob, et à réunir les restes d’Israël; je vous ai établi la lumière de toutes les nations afin que vous soyez le Sauveur de toute la terre. »

Ce qui fait voir très sensiblement que « toutes les choses qui sont arrivées à ce peuple n’étaient que des ombres et des figures, et qu’elles ont été écrites pour nous servir d’instruction, à nous autres qui nous trouvons à la fin des temps. »


Source : œuvre de Saint Jérôme publiée par M. Benoit Matougues, sous la direction de M. L. Aimé-Martin, 1838